mercredi 28 septembre 2016

L'insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera

"Qu'est-il resté des angoissants du Cambodge ?
Une grande photo de la star américaine tenant dans ses bras un enfant jaune.
Qu'est-il resté de Thomas ?
Une inscription: Il voulait le Royaume de Dieu sur la terre.
Qu'est-il resté de Beethoven ?
Un homme morose à l'invraisemblable crinière, qui prononce d'une voix sombre: "Es muss sein !"
Qu'est-il resté de Franz ?
Une inscription: Après un long égarement, le retour.
Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Avant d'être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c'est la station de correspondance entre l'être et l'oubli."


Avant de commencer cet avis, je tiens à dire que ce livre est un prêt. La quatrième de couverture ne me tentait absolument pas mais, à force d'entendre parler de Kundera, j'ai acceptée de le tenter pour me faire ma petite idée. Je ne regrette pas car ça a vraiment été une très belle découverte.

"Il n'existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n'existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. Comme si un acteur entrait en scène sans avoir jamais répété. Mais que peut valoir la vie même ? C'est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même "esquisse" n'est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l'ébauche de quelque chose, la préparation d'un tableau, tandis que l'esquisse qu'est notre vie est une esquisse de rien, une ébauche sans tableau".

Dans ce roman, nous suivons l'histoire de quatre personnages dans une Bohême sous le joug de l'URSS.
Milan Kundera nous fait part de ses observations et analyse les hommes, leurs pensées et leurs amours. On peut dire en quelque sorte que ce livre est un "roman-essai".

L'histoire commence avec Thomas, chirurgien et libertin qui tombe amoureux de Tereza. Elle décide de quitter son village pour venir s'installer à Prague et débuter ainsi son histoire d'amour. Malgré les tromperies incessantes, elle ne cesse de l'aimer et accepte de supporter ces humiliations. De son côté, Thomas ne peut faire sa vie qu'avec une seule femme bien qu'il peut avoir des relations sexuelles avec plusieurs.
Un jour il va écrire un article qui ne va pas plaire au gouvernement et va, petit à petit, chuter dans l'échelle sociale.
Sabina est la maitresse de Franz, mais aussi l'amie de Thomas. Elle quitte le pays pour s'installer en Suisse. Elle est peintre et est reconnue bien que les gens ne comprennent pas les messages qu'elle fait passer à travers ses œuvres. Elle décide de tout quitter pour les Etats-Unis lorsque Franz souhaite quitter sa femme pour elle. Ces deux personnages sont en total opposition car elle représente la légèreté alors que lui représente la pesanteur de l'amour.

"La pesanteur, la nécessité et la valeur sont trois notions intrinsèquement liées: n'est grave que ce qui est nécessaire, n'a de valeur que ce qui pèse".

Les chapitres sont courts, néanmoins cette lecture m'a demandée un rythme un peu plus lent que mon rythme habituel afin de bien intégrer les différents thèmes abordés. La plume de l'auteur est belle et posée. Il raconte son histoire de façon douce et légère mais si l'on se précipite trop, on passe à côté de beaucoup de réflexions. Je pense d'ailleurs que ce livre ne doit pas être perçu de la même manière lors d'une deuxième lecture.
L'histoire ne suit pas tout le temps la chronologie mais nous ne sommes pas perdu pour autant. Bien au contraire, ces petits sauts dans le temps permettent de mieux comprendre certaines idées de Kundera, ainsi que certains personnages.
Le fait de suivre plusieurs protagonistes en même temps, et de façon déstructurée, permet d'avoir une vision d'ensemble de ce qu'était la vie en Bohême à cette époque, mais aussi de voir comment se sentent les personnages par rapport aux autres et aux codes de la société.

Les thèmes abordés sont vastes puisque l'auteur nous fait part de ses réflexions sur l'adultère, le kitsch, l'histoire de son pays, la religion, le mode de vie et la façon d'être des gens, la vision de la liberté, l'amour, le communisme, le capitalisme, etc.
Kundera profite de la façon d'être de ses personnages (qui sont détaillés et complexes) pour faire passer ses idées et ses analyses.

"Et il se disait que la question fondamentale n'était pas: savaient-ils ou ne savaient-ils pas ? Mais: est-on innocent parce qu'on ne sait pas ? Un imbécile assis sur le trône est-il déchargé de toute responsabilité du seul fait que c'est un imbécile ?".

Les quatre personnages mettent souvent en avant le contraste des différents choix que l'on peut faire dans la vie. Par exemple, Thomas et Tereza restent ensemble malgré les souffrances qu'ils s'infligent mutuellement (lui la trompe et elle est jalouse maladive) alors que Franz quitte sa femme car sa situation ne lui convient pas. Sabina préfère sa liberté à l'engagement et décide de fuir Franz lorsque celui-ci veut vivre son amour avec elle.
Personnellement, je n'ai pas compris les choix de Thomas et Tereza mais il y a des personnes qui préfèrent le confort à la liberté. Pour différentes raisons qui peuvent être la peur de recommencer de zéro, la peur de se retrouver seul, de ne pas réussir à se débrouiller sans aide, etc.
Milan Kundera montre pourquoi ses personnages vivent comme ça et non autrement. Je ne pense pas qu'il cherche à nous faire pardonner ou adhérer à ces comportements, mais plutôt à nous expliquer pourquoi on est comme on est dans la vie. Il nous démontre également que la légèreté est parfois bien plus dure à vivre que la pesanteur.

"Le drame d'une vie peut toujours être exprimé par la métaphore de la pesanteur. On dit qu'un fardeau nous est tombé sur les épaules. On porte ce fardeau, on le supporte ou on ne le supporte pas, on lutte avec lui, on perd ou on gagne. Mais au juste, qu'était-il arrivé à Sabina ? Rien. Elle avait quittée un homme parce qu'elle voulait le quitter. L'avait-il poursuivie après cela ? Avait-il cherché à se venger ? Non. Son drame n'était pas le drame de la pesanteur, mais de la légèreté. Ce qui s'était abattu sur elle, ce n'était pas un fardeau, mais l'insoutenable légèreté de l'être".

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